Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin

La vie intense, une obsession moderne? Un livre de Tristan Garcia

Vivre intensément : un idéal moderne, qui évoque la jouissance et la performance… et se mène aussi tout droit au burn-out. Alors, entre routine et excès, ennui et folie, comment trouver l’équilibre et la liberté ? Réponses avec La Vie intense, une obsession moderne, du philosophe Tristan Garcia.

La vie intense : liberté ou nouvelle prison?

Pour Tristan Garcia, le 20ème siècle consacre le règne de l’électricité, fluide intense par excellence. Ses figures emblématiques ? Le sportif, le trader, le rocker, le libertin ou le révolutionnaire. Ces modèles incarnent la jeunesse, voire l’adolescence, les sensations fortes et la performance, à l’opposé des valeurs de tempérance des siècles précédents.

La vie intense sonne ainsi comme une rébellion contre les traditions et la sagesse des anciens, une quête de liberté. Elle peut aussi devenir une nouvelle prison, quand cette quête mène à l’injonction permanente de « vivre sa vie à fond« .

Icone montrant du doigt un élément systémique important

« On l’oublie bien souvent, mais nous n’avons qu’une seule vie, alors autant en profiter à fond ! » C’est ainsi qu’un site web féminin démarre un article proposant « 6 conseils pour vivre sa vie à fond« . Ainsi, après les frustrations du travail et de la famille, il faut encore encaisser l’angoisse de ne pas savoir vivre à fond : c’est la double peine.

La réussite consiste ainsi à afficher les signes d’une vie intense, au travail comme en vacances : « Tu vas bien ? » « Oui, à fond ! » C’est l’idéal des yuppies : « work hard, party hard. » Ce qui a l’avantage de faire tourner l’économie : travailler plus, gagner plus, consommer plus. Et d’ailleurs, comme le souligne Tristan Garcia, la publicité s’est emparée du concept, et promet des expériences intenses pour vendre des voitures, des parfums, du chocolat, et même… une eau minérale intense.

Ainsi, vivre de manière tiède, raisonnable, devient un échec. Tristan Garcia va même plus loin, en montrant comment l’intensité devient l’ultime critère d’évaluation de nos vies. En effet, le 20ème siècle a permis une libération des normes sociales qui guidaient les vies de nos ancêtres. Alors qu’autrefois, le destin de chacun était tracé dès sa naissance, ou tout au moins dès la fin de ses études, aujourd’hui chacun est invité à « trouver sa voie », selon ses propres valeurs et aspirations. Mais alors, si sur le plan qualitatif toutes les vies se valent, il ne reste plus qu’un seul critère pour les comparer :

leur degré d’intensité. Tristan Garcia résume ainsi l’impératif éthique de l’Homme moderne :

Sois toi-même, mais sois-le à fond

Tristan Garcia

Une vie intense et libre : le paradoxe qui rend fou

L’humanité n’a pas attendu le 20ème siècle pour fabriquer des rebelles et des passionnés, mais ils étaient le plus souvent réprouvés, condamnés à la prison ou l’asile d’aliénés. Ultime paradoxe, la quête d’une vie intense devient à son tour une prison et une aliénation, car elle repose sur une succession d’injonctions paradoxales.

Icone montrant du doigt un élément systémique important

Une injonction paradoxale, c’est un ordre formulé de telle manière qu’y obéir… revient à y désobéir. Comme par exemple : « Ne tenez pas compte de ce message. » De quoi devenir fou.

Premier paradoxe : Comment parvenir sur commande à « être soi-même ? » Par définition, il s’agit d’un mouvement spontané, une forme d’anticonformisme, qui devient un nouveau conformisme si l’on en fait une obligation. Les thérapeutes et penseurs de l’École de Palo Alto résument d’ailleurs ce type de paradoxes à l’injonction « Sois spontané ! » Dans la même famille on retrouve : sois naturel, sois autonome, sous libre. Mais comment pourrait-on être libre pour obéir à un ordre ?

De tous les conformismes, le conformisme du non-conformisme est le plus répandu

V. Jankélévitch

Autre paradoxe : « Sois toi-même à fond. » Mais que faire si je préfère la tiédeur et la routine aux sensations fortes ? Vais-je devoir « Ne pas être à fond, mais l’être à fond » ? Et d’ailleurs, peut-on vraiment se forcer à vivre à fond ? Comme le rappelle Tristan Garcia, l’intensité est une expérience subjective. C’est une sensation spontanée, proche de l’euphorie. Chercher à la provoquer, à l’évaluer, c’est détruire tout chance de fulgurance.

Icone montrant du doigt un élément systémique important

Ce paradoxe est bien connu des sexologues, confrontés aux dégâts que cause l’exigence d’orgasmes et de jouissances intenses. Le fait même de se dire « pourvu que j’arrive à jouir » réduit les chances d’y parvenir.

De la vie intense au burnout général

Ainsi, dès qu’elle devient une obligation, l’intensité mène à sa propre négation. D’autant que les sens s’émoussent très vite : ce qui était intense hier est ennuyeux aujourd’hui. Pour compenser, il faut donc toujours plus de nouveauté, de stimulation, de performance.

Vie intense et burnout personnel

Au niveau individuel, l’épuisement finit par gagner. Le sportif doit courir plus vite, le rocker vibrer plus fort, le trader jongler avec plus de millions, pour en retirer de moins en moins de satisfaction, jusqu’à l’anesthésie, la perte de sens. Le burn-out guette par épuisement, mais aussi par la déception, le désespoir de ne pouvoir atteindre un idéal qui se dérobe sans cesse. Car le burn-out, c’est la fatigue plus la dépression. Le corps lâche, condamnant l’individu à renoncer à ses rêves. Nouveau paradoxe : plus j’essaye d’être moi-même à fond, plus je me condamne à terminer sans but et sans énergie.

On ne peut vivre intensément qu’aux dépens de soi-même

Herman Hesse

Vie intense et burnout collectif

Au niveau collectif, les entreprises et leurs employés doivent aussi accumuler les performances. Sans cesse, on crée de nouveaux produits jetés peu après, et l’on jette les individus qui ne sont plus assez « à fond » pour rester dans la course. De son côté, la planète encaisse les conséquences de cette quête effrénée, elle semble proche du burn-out. Une régulation systémique semble s’approcher : les ressources des individus comme celles des écosystèmes finissent par lâcher.

Intensité sans burnout : une question d'équilibre

Alors, que faire ? Tristan Garcia refuse tout « retour en arrière » vers une vie dédiée au salut éternel, qui nous imposerait de renoncer à toute intensité pour ne privilégier que la sagesse. D’ailleurs, l’humanité y est-elle jamais parvenue ? S’obséder à chercher l’intensité, c’est se détruire, mais nier notre besoin d’intensité, c’est nier la vie même.

La solution de l’École de Palo Alto, c’est de refuser l’opposition entre sagesse et intensité. Chercher à la dépasser pour atteindre une vie sage ET intense. Plonger dans le paradoxe et accueillir la non-intensité pour préserver l’intensité.

Il peut s’agir tout simplement de vivre les moments de vide, de fatigue, de dépression, d’ennui, comme des pauses bienvenues, plutôt que des moments d’échecs ou les symptômes d’une pathologie. Sur le plan neurologique, ils permettent à nos récepteurs, à nos sens de se réaffûter, à notre énergie de se reconstituer, à nos envies de revenir.

Et pour regarder plus loin il peut s’agir peut-être, aussi, de redéfinir sa vie de manière plus qualitative, dans la durée, dans la stabilité des relations nouées avec soi, avec les autres, avec le monde : vivre mieux au présent, pour avoir une chance d’avoir un avenir et d’en laisser un sur Terre à nos enfants.

Pour en savoir plus :

La Vie intense, une obsession moderne, de Tristan Garcia (Autrement, 2018, 1è édition 2016). Lire le résumé de ce livre par Anne Gouyon sur le site de Business Digest, l’observatoire du leadership et du management.

 

partagez ce  POST

Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
ANNE GOUYON
ANNE GOUYON

Coach et thérapeute, je pratique les thérapies brèves systémiques et stratégiques selon l'Ecole de Palo Alto à La Tête Libre, à Paris et Antony. Je vous fais bénéficier de mon expérience de la relation d'aide et de l'accompagnement d'enfants, adultes et familles en difficulté scolaire et relationnelles.

3 MOYENS DE NOUS CONTACTER

Par téléphone

En prenant rdv en ligne

En nous écrivant

Tous les champs sont obligatoires